Avoir peur d’un chiroptère ? Quelle idée ?
Un peu d’histoire
Déjà Buffon, le scientifique chéri du roi Louis XIV, savait qu’il existait en Amérique du sud une petite chauve-souris qui mordillait de gros animaux pour boire un peu de leur sang pendant leur sommeil. Aussi le jour où il reçut une grosse chauve-souris d’Amérique du Sud, l’amalgame était fait, il l’a baptisé « vampire », nom provenant des légendes slaves d’hommes buveurs de sang. L’occasion était belle et l’écrivain irlandais Bram Stoker écrivit le roman « Dracula ». L’essor du cinéma fit le reste.
Mais les légendes vieillissent bien : certains pensent encore que les chauves-souris s’accrochent dans les cheveux, qu’elles attaquent les humains quand elles entrent par hasard dans leurs habitations, qu’elles mangent leurs récoltes, voire qu’elles transmettent la peste, la rage, le mal de dents et autres….Batman n’y a rien changé, c’est toujours un mammifère volant qui fait peur.
Ma vie tout au long de l’année
Alors puisque les humains me considèrent comme une affreuse petite bête qui fait peur, j’ai beaucoup réfléchi et j’ai fini par comprendre que vous ne me connaissez pas. Je vais vous éclairer, façon de parler, puisque je ne vis que la nuit…!
L’été, c’est la belle vie, les insectes pullulent, je chasse une grande partie de la nuit. Mais bien que ma vue soit médiocre, je suis si rapide que l’homme a pensé que j’avais un « sixième sens » ; lequel ? Après plusieurs expériences où l’on m’a affublé d’un capuchon noir dans une pièce obscure, puis d’un capuchon transparent, je me cognais dans tous les obstacles. Alors on m’a caché uniquement les yeux et oh ! Miracle, je me jouais de tous les pièges même de minuscules fils tendus dans cette pièce obscure. Il a fallu de multiples expériences, pour que l’homme découvre que je faisais partie des rares animaux qui peuvent « voir avec leurs oreilles », même si les autres sens ne sont pas en reste ! Le voilà mon 6e sens, un système extraordinaire presque identique à celui qu’emploient les avions et les bateaux modernes : le radar.
J’envoie droit devant moi de petits cris suraigus, inaudibles à l’oreille humaine, que les hommes appellent des ultra-sons. Dès que ces derniers butent contre un obstacle (fil, mur, fenêtre, branche, moustique) l’écho revient à mes oreilles ; plus il revient vite, plus l’objet est proche bien entendu, ils appellent cela l’écholocation. Et ce n’est pas tout, mon cerveau de petite bestiole est un véritable ordinateur capable d’analyser en une fraction de seconde non seulement la distance à laquelle se trouve l’obstacle mais aussi de visualiser sa forme et sa nature. Pour découvrir ce nouveau mystère, ces soi-disant chercheurs m’ont encore enfermée dans une pièce parfaitement noire, ils ont lancé de petits morceaux de caoutchouc alternativement avec des vers de farine, je me suis jetée sur les vers et me suis détournée sans hésiter des caoutchoucs… !
Une merveille de la nature ! Je sens que vous commencez à vous intéresser à ma petite personne. Même au repos, mon radar est en marche, au ralenti, une dizaine de « clics » par millièmes de seconde, mais dès que je vole mon système de guidage prend une allure de croisière, 40 à 60 «clics» par quelques millièmes de seconde, séparés par de courtes plages de silence durant lesquelles, mon petit navigateur aérien reçoit et analyse les échos. Quand je chasse à la cime des arbres, je suis capable de cueillir au passage des chenilles lovées sur des feuilles, uniquement repérées au radar…Fascinant n’est-ce pas !
Je ne suis pas un oiseau et pourtant je vole ? Encore une de mes capacités exceptionnelles. Hormis mon pouce, mes doigts se sont allongés et sous-tendent une fine membrane de peau qui assure la portance, le patagium. Ainsi, contrairement aux oiseaux qui volent avec leur bras tout entier, moi je ne vole qu’avec mes mains, ce qui m’a valu le nom de chiroptère : du grec cheiro : « main » et ptère : « aile ».
Dernier problème à résoudre : dormir à l’abri des prédateurs ? Facile ! Il suffit de s’accrocher la tête en bas aux voûtes des cavités ou aux charpentes. Mes membres postérieurs ont subi une rotation de 180° par rapport aux vôtres et mon poids exerce une traction sur mes tendons, mes griffes restent ainsi en position d’accrochage dans les endroits les plus inaccessibles. Je ne dépense aucune énergie et je peux rester pendue pendant de très longues périodes sans me fatiguer, cela m’est indispensable, vous verrez pourquoi.
Pour le moment la fin de l’été approche, je suis nerveuse et très occupée, le temps presse, je dois trouver un partenaire avant l’hiver, non pas pour me tenir chaud pendant la mauvaise saison mais parce que c’est le moment de m’accoupler et conserver précieusement ses spermatozoïdes afin qu’ils fécondent mes ovules à la fin de l’hivernage. Dame Nature, encore elle, a tout prévu pour que le développement des embryons ne démarre qu’au printemps comme chez presque toutes les espèces.
Puis, les températures baissent, les insectes se font plus rares, c’est l’automne.
Que faire ? Migrer en Afrique comme l’hirondelle avec tous les dangers d’un tel voyage ? Non, j’ai une bien meilleure solution. Je dois seulement être prévoyante et me dépêcher de faire des réserves en gobant force moucherons et autres insectes, puis le moment venu de m’endormir profondément, très profondément. Je ne mangerai plus pendant des mois entiers en pompant petit à petit dans ma graisse pour ne pas mourir de faim et être en pleine forme le jour du grand réveil.
Simple ? Pas vraiment car dans nos régions, en France, l’hiver, il gèle. Mon instinct me pousse à rechercher un gîte accessible à l’abri des grands froids qui gardera en plus une humidité constante pour ne pas dessécher mes ailes : caves, ponts, souterrains ou grottes… malheureusement aujourd’hui cela ne se trouve pas facilement. Mais quand j’y parviens, je suis prête pour une longue nuit. A mesure que la température extérieure baisse, mon corps s’engourdit, les battements de mon cœur ralentissent, ma respiration se fait de plus en plus rare et je sombre dans un étrange sommeil : le repos léthargique de l’hibernation pendant cinq longs mois, sans manger et sans boire…
Aussi par pitié, si vous me découvrez, ne venez pas me troubler, cela risque de très mal se terminer pour moi. Un bruit quelconque ou la lumière crue d’une lampe de poche, je sors de mon sommeil et suis capable de m’envoler complètement désemparée, avant de me rendormir. Malheureusement cette aventure m’aura couté une énorme dépense d’énergie qui se traduira par une ponction dans mes réserves de graisse. Si l’aventure se reproduit plusieurs fois pendant l’hiver, je risque fort de mourir de faim avant le printemps.
Les mois passent sans m’en apercevoir et un beau jour, le printemps revient. La température remonte, je dégourdis mes ailes ankylosées par 4 ou 5 mois d’inaction ; les insectes sont là, vite je sors de ce souterrain sinistre.
Pas une minute à perdre, je me mets en quête de trouver un autre logis pour passer la belle saison : maison vide, trou d’arbres inhabité, nichoir, combles désertes d’une église ou d’un château, où il régnera une douce chaleur pour… élever mes petits.
En ce début d’été, là où abondent les insectes j’invite souvent d’autres femelles dans ce gîte calme et sombre pour former une colonie, du balai les maris … la journée nous adoptons notre célèbre position, ailes repliées, suspendues la tête en bas. Après quelques semaines de gestation, les petits naissent (un unique petit, parfois des jumeaux, mais jamais plus). J’accouche accrochée la tête en bas, mon petit est accueilli dans une sorte de poche inter-fémorale et dès sa naissance il escalade ma fourrure ventrale jusqu’aux tétons pour aspirer goulument le lait maternel, car n’oublions pas que je suis un mammifère, donc pas de becquées comme les oiseaux…
Mon petit est une merveille car pendant les premières semaines de sa vie, il m’accompagne dans toutes mes périlleuses expéditions nocturnes, accroché à ma toison pendant des dizaines de kilomètres au-dessus du vide. Imaginez ! Mais après une quinzaine de jours, il devient trop lourd et c’est alors qu’avec les autres mères de mon gite nous constituons une crèche où tous les bébés sont réunis sous la surveillance de quelques-unes. Elles les allaitent d’ailleurs indifféremment, le leur ou un autre…
Chaque nuit je peux consommer plus de la moitié de mon poids en insectes. Que des insectes comme une honnête hirondelle : papillons, mouches, moustiques mais aussi des araignées ou encore des carabes. Vous comprenez pourquoi vous ne risquez rien…
Puis vers la fin juillet ou début août, les jeunes sont devenus des ados, ils sont capables de voler et de pourvoir à leur ravitaillement, ils passent donc directement de la tétée maternelle à la chasse pure et simple…et « vivent leur vie »…
En conclusion, les chauves-souris sont d’excellents insecticides naturels qui n’empoisonnent ni le sol ni l’eau pendant des dizaines d’années. Suivant les espèces, une chauve-souris peut à elle seule manger chaque nuit entre 25 et 200 % de son propre poids, c’est un fabuleux régulateur biologique des populations d’insectes !!!
En Europe, toutes les chauves-souris sont insectivores donc inoffensives pour l’Homme. Néanmoins elles possèdent une mâchoire pourvue de petites dents pointues qui permettent à certaines de se nourrir aussi de carabes à la carapace croustillante. Une seule espèce en Europe est insectivore et carnivore, capable de chasser des petits oiseaux, c’est la grande noctule, de plus en plus rare.
Maintenant, comme tout être vivant, si vous les attrapez, elles vont se défendre en vous mordant, c’est la loi de la nature… ce sera un rappel à l’ordre (certains vous diront qu’elles sont porteuses du virus de la rage, c’est très rare)…mais jamais une chauve-souris ne vous attaquera, même apeurée dans un endroit clos, son premier réflexe sera la fuite pour trouver une issue.
La France métropolitaine héberge sur son territoire 34 des 36 espèces présentes en Europe. On dénombre au minimum 15 espèces par département, même à Paris. Les unes ont des ailes étroites et longues, des oreilles petites et à demi dissimulées dans la fourrure (ce sont les plus rapides qui peuvent voler à 50 km/heure), d’autres ont au contraire des ailes larges et courtes et des oreilles très développées, par exemple l’Oreillard (leur vitesse est plus réduite, entre 8 et 30 km/h).
Malheureusement leur nombre est en régression comme celui des insectes ou des oiseaux. Dans nos forêts de Meudon et Fausses-Reposes, on dénombrait à Chaville (d’après le dernier inventaire du Muséum d’histoires naturelles qui date malheureusement d’une vingtaine d’années) 8 espèces différentes de chauve-souris (Sérotine commune, Murins de Daubenton et de Natterer, Noctules de Leisler et commune, Pipistrelle de Kuhl et commune et l’Oreillard roux). On peut toujours les observer dans nos forêts chavilloises mais combien sont-elles ?
En France, les chauves-souris sont toutes protégées par la loi de 1976 relative à la Protection de la nature ainsi que par l’arrêté du 17 avril 1981 (il est strictement interdit de les détruire). Mais les dérangements durant l’hiver, la disparition ou la modification de leurs gîtes (rénovation des bâtiments, maisons modernes sans greniers ouverts, abattage d’arbres à cavités), la pollution lumineuse, les accidents de la route, l’utilisation de produits chimiques : (traitement des charpentes ou pesticides dans les champs et les jardins), les transformations des paysages qui s’accompagnent d’une raréfaction de leurs proies, tout cela lié à un faible taux de renouvellement des populations (un seul jeune par femelle et par an) sont autant de facteurs compromettant leur survie.
Si vous voulez les protéger : soit vous possédez un grenier, vous laissez une petite ouverture et vous aménagez simplement un coin pour avoir moins de nuisances, (perchoirs pour éventuellement les canaliser en un endroit, pose d’une bâche plastique pour protéger des déjections, ventilations des combles) soit plus facilement vous construisez un nichoir (modèle sur de nombreux sites internet dont celui de la LPO) et vous contribuerez ainsi activement à la préservation de la biodiversité.
Et pour satisfaire tous les curieux, la Société Française pour l’Etude et la Protection des Mammifères (SFEPM) organise, chaque année la Nuit Internationale de la chauve-souris. A travers la France, des spécialistes vous proposent des animations, gratuites et ouvertes à tous, entre le 10 juillet et le 10 septembre.