Avis sur le Schéma Régional de Gestion sylvicole, d'avril 2022
L’association Environnement 92, créée en 1991, fédère 49 associations de protection de l’environnement des Hauts de Seine. Environnement 92 est agréé pour la protection de l’environnement et habilité au dialogue environnemental. Elle est affiliée à France Nature Environnement Île de France.
La forêt francilienne, constituée aux 2/3 de propriétés privées avec 150 000 propriétaires, dont un peu plus de 1000 possède une surface supérieure à 25 ha (et représentant environ 40% de la surface) traduit son importance géographique sur le territoire mais sa vulnérabilité liée au morcellement de sa gouvernance et des difficultés de mettre en œuvre des plans de gestion.
A. L'exploitation du bois des forêts privées dans le contexte de dérèglements climatiques
La présente analyse sur des effets de la gestion proposée par le SRGS est centrée sur les trois fonctions principales de la forêt, la biodiversité, les fonctions sociétales, et le climat suivant l’IPBES1. Les fonctions sociétales ici englobent la fonction économique (uniquement considérée jusqu’à présent dans les critères sociétaux de développement durable).
Fonction biodiversité
Pour quantifier la biodiversité en forêt, la méthode de l’indice de biodiversité potentielle (IBP), mis au point par le CNPF et l’INRAE et mentionnée explicitement dans le SRGS, offre un excellent outil pour évaluer la capacité d’un massif à accueillir la biodiversité ordinaire. Les 7 premiers critères d’observation concernant la gestion et les peuplements sont: les essences des arbres, la structure verticale de la végétation, les bois morts au sol et sur pied de grande dimension > 40 cm de diamètre, Les arbres vivants porteurs de dendro microhabitats, les très gros bois vivants (diamètre 70 cm et plus) et les milieux ouverts. On peut prendre comme référence une forêt riche en biodiversité, dotée des notes maximales pour chacun des critères, c’est-à-dire un IBP global de 100%. Ainsi pour une forêt composée d’arbres de diamètre 56 cm en moyenne, on peut apprécier les effets des coupes d’arbres sur la biodiversité. Eclaircir en diminuant la surface terrière et créer de nouvelles dessertes vont conduire à couper des arbres qui font de l’ombre et faire disparaître les espèces ne supportant pas la lumière. Or ces gros arbres sont indispensables pour une forêt riche en biodiversité. Selon l’IBP, il est nécessaire de garder au moins 5 très gros arbres vivants (>70cm de diamètre) par hectare. Le gros bois mort sur pied et au sol (plus de 40 cm de diamètre) est nécessaire au niveau d’au moins 3 par hectare. Pour faire du gros bois mort, il faut de gros arbres vivants. De plus, les très gros bois vivants abritent la plupart des micro-habitats pour de nombreux animaux, généralement absents des arbres moyens ou petits, ce qui va diminuer la capacité d’accueil de la faune. Les peuplements clairs qui laissent entrer beaucoup de lumière voient le facteur « milieu ouvert » de l’IBP tomber de 5 à 2 quand le peuplement clair dépasse 6% de la surface de la parcelle. Au total, l’écosystème forestier risque de s’appauvrir inexorablement. Un indice au niveau
de 70 à 80% du maximum des facteurs de gestion est à notre sens, un seuil minimum pour une biodiversité garantissant un développement durable. La biodiversité s’appauvrit avec les éclaircies et l’amélioration des dessertes des massifs.
1 IPBES : Intergovernmental Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. Cet organisme international est à la biodiversité ce que le GIEC est au climat.
Fonctions sociétales
Nous utilisons le pluriel ici car il y a plusieurs fonctions sociétales importantes : La fonction économique, les effets de l’exploitation sur la santé des franciliens, les effets sur le réchauffement climatique et sur le paysage forestier.
Fonction économique
La demande consistant à « éclaicir pour aller vers une gestion plus dynamique » nous semble une erreur dans la période de réchauffement climatique des siècles à venir. L’économie forestière de l’Île-de-France repose principalement sur les feuillus, espèces majoritaires en île de France. Or les effets mortifères sur les chênes à cause de la sècheresse sont déjà constatés en île de France, montrant un dépérissement inattendu de la forêt (cf dépérissement de 47 000 grands chênes pédonculés en 2019 en forêt de Chantilly). Même si les éclaircies vont favoriser la croissance des jeunes chênes, l’assèchement des sols va produire une plus grande fragilité des jeunes arbres. De plus les maladies parasitaires qui se développent rapidement parmi plusieurs espèces de feuillus affectent le capital forestier et donc le rendement économique à moyen et long terme. L’éclaircissement des forêts va affecter le rendement économique.
Effets sur la santé des franciliens
Cette filière engendre une pollution démesurée, proche de celle du charbon. La pollution aux particules fines (50% chauffage urbain et 50% transports) est responsable de 10 000 morts prématurées par an en Île-de-France. La dernière étude scientifique de qualité publiée par AirParif informait que 5% du chauffage d’IdF venant du bois-énergie générait 85% de la pollution en provenance du chauffage urbain.
La filière bois-énergie est sourde à cet argument, comme l’étaient précédemment les compagnies de tabac et les fabricants d’amiante. L’augmentation de la production de bois-énergie est le résultat d’une augmentation de la demande, mais cette demande est nocive pour la santé des franciliens. La production de bois-énergie doit diminuer au profit du bois d’oeuvre, et ne doit pas augmenter.
Effet sur le réchauffement climatique
Le dernier rapport du GIEC recommande d’augmenter de 25% la séquestration de CO2 des forêts. L’exploitation du bois pour la filière bois-énergie (63%) pose le problème que brûler du bois transfère instantanément dans l’atmosphère le carbone qui y était séquestré. Par contraste, la filière bois d’œuvre (30%) ou le bois d’industrie (10%) conserve une partie de la séquestration du carbone et dans certaines applications ont un avantage de substitution à l’acier ou au béton qui demande de l’énergie pour leur fabrication. Nous n’avons pas d’évaluation fiable de cet avantage de substitution. Au vu du déséquilibre entre ces destinations des récoltes, l’incitation à augmenter la récolte de bois d’ici 10 ans, ne va pas dans le sens des objectifs climatiques sauf si la filière bois énergie diminue au profit des autres filières plus vertueuses. Il faut réaliser que, tous comptes faits, pour une même énergie de chauffage, brûler du gaz en laissant le bois vivant émet près de trois fois moins de CO2 que de brûler du bois sous forme de bûches, plaquettes ou granulés. Plutôt que de baser l’exploitation sur la valorisation financière des récoltes, les aspects sociétaux du XXIème siècle doivent prendre toute leur importance. La gestion consistant à diminuer la surface terrière entraîne une diminution du stock de bois vivant en forêt. Plus des 2/3 de cette diminution de stock va partir quasi instantanément en CO2 dans l’atmosphère (bois-énergie ou décomposition des rémanents et racines). Ceci augmente les émissions de gaz à effet de serre alors que la forêt a le plus fort potentiel de séquestration de carbone disponible du pays. L’augmentation des prélèvements et la diminution du stock de bois vivant va diminuer la séquestration du carbone et aggraver le réchauffement climatique.
Fonction sociale : Effets de l'exploitation sur le paysage forestier
Comme il est mentionné dans le document SRGS, le paysage des forêts est affecté pour de nombreuses années, après une exploitation. Pour les forêts privées, l’impact devrait être limité puisque la fréquentation du public est plus faible que celle des forêts publiques. Il reste que la communication avec
es élus et le public sur les pratiques forestières doit se développer, sachant que la conscience du public en matière de perception des risques des dérèglements climatiques et de la pollution de l’air, est bien plus élevée que l’on croit.
B. La gouvernance des forêts privées en question
Un doute sur la réalisation des objectifs d'exploitation des forêts privées
L’émiettement des propriétés privées est une vraie faiblesse pour l’Île-de-France, et ceci depuis fort longtemps. Vu le nombre de parcelles en déshérence, non chiffré dans le SRGS, on ne voit pas de solution devant la sacralité de la propriété privée et les délais légaux pour une préemption éventuelle. En plus, le fait que la filière d’entreprises est indigente dans la région, ne favorise pas une organisation cohérente de la gestion des forêts privées de la région. Il est possible que l’objectif d’accroissement de la récolte de bois reste un vœu pieux.
La gestion des forêts privées dans les zones de captage
Selon le SDAGE (2022-2027) Les eaux de l’ensemble du réseau hydrogéologique sont polluées par les nitrates et pesticides de façon récurrente en Ile de France et dans tout le bassin versant de la Seine et ses affluents, depuis de nombreuses années. Les forêts ont un rôle plus vertueux que les zones agricoles, comme cela est exprimé dans le SRGS – maintien de secteurs peu pollués, pérennité du couvert végétal et la protection des sols, favorisées par leur gestion extensive et par la faible teneur en nitrates des eaux infiltrées et par leur rôle de filtre épurateur- – Les arbres participent au cycle de l’eau avec le phénomène d’évapotranspiration. Les zones humides dans les forêts ont aussi un rôle majeur pour la bonne santé des écosystèmes forestiers. Le sol forestier avec un couvert végétal pérenne est le premier récepteur de l’eau de pluie. Sa couverture, sa structure et sa composition (la matière organique qui maintient l’eau du sol, réduit son érosion et nourrit l’activité biologique) vont déterminer la part de cette eau qui va ruisseler, rester dans les sols à disposition des arbres, ou s’infiltrer vers les nappes. Les pratiques de gestion forestière sans utilisation de produits chimiques et phytosanitaires, en limitant les mises à nu des sols doivent être particulièrement vertueuses lors des travaux sur les risques de pollution ponctuelle aux hydrocarbures. Pour que cette recommandation d’exemplarité soit réaliste, les SAGE ont un rôle particulier à jouer avec l’ensemble des acteurs, dont les collectivités locales. Or le territoire francilien est en déficit de SAGE, notamment le secteur de la Seine centrale urbaine. La gouvernance qui devrait opérer sur l’exploitation et la gestion des forêts privées n’a pas atteint le niveau requis pour trouver un équilibre entre un prélèvement limité du bois et une gestion exemplaire des travaux forestiers sur l’ensemble du parc forestier.
En conclusion, nous émettons un avis défavorable à l’augmentation des prélèvements sur la forêt privée et la diminution du stock de bois vivant, pour les raisons principales suivantes:
- La biodiversité s’appauvrit avec les éclaircies et l’amélioration des dessertes des massifs.
- Il y a un doute sur un meilleur rendement économique
- L’effet de la filière bois-énergie est désastreux sur la santé des francilien
Enfin, le plan de gestion sur les forêts privées nous semble peu réaliste au vu des faiblesses de la gouvernance du secteur et de l’absence de SAGE dans certaines zones de l’île de France.